En ce réveillon de Noël, les tables accueillent, à côté de la bûche et du champagne, le foie gras. Poêlée, ou simplement tartinée sur une tranche de pain grillé, les papilles gustatives tremblent à son simple contact. C’est la star du repas et il est difficile de lui voler la vedette. Vous aussi, vous attendez la période des fêtes uniquement dans le but de déguster ce mets ? Mais, vous êtes-vous déjà demandé, depuis quand mange-t-on du foie gras ?
Le foie gras puise ses origines dans l’Antiquité
Le foie gras, qu’il soit d’oie ou de canard, est préparé depuis la haute antiquité. Les premières traces d’élevage d’oies et de leur gavage sont vieilles de plus de 2 500 ans avant notre ère.
En Egypte
Dans l’ancienne nécropole de Saqqarah, près de la capitale royale de Memphis, les archéologues ont découvert un bas-relief datant de l’âge des pyramides représentant des hommes en train de gaver en un troupeau d’oies. Toutankhamon, pharaon de la 18ème dynastie, est alors possiblement le premier souverain à s’être gavé de foie gras.
L’origine de ce dernier n’est entourée d’aucun mystère : les oiseaux migrateurs font partie de la diète des multiples peuples anciens vivants le long des cours d’eau et donc à proximité des routes migratoires de ces volatiles. En observant les oiseaux migrateurs, l’être humain a pu constater qu’ils mangeaient avidement à la fin de l’automne ou encore à la fin du printemps. Avant la migration, pour nidifier ou pour accéder à de meilleures sources de nourriture pendant la mauvaise saison, le poids des oiseaux augmente considérablement. Les bêtes abattues ou attrapées juste avant leur envol, possédaient alors un foie grandement grossi. Une fois cuite, la riche saveur et la texture soyeuse de ces organes furent certainement remarquées et largement appréciées.
Bien entendu, sans les techniques de gavage sophistiquées, le foie dégusté par les égyptiens ne devait pas être aussi onctueux que ceux issus des élevages d’aujourd’hui. Il n’empêche qu’en – 400, l’offrande d’oie bien grasse, était considérée comme suffisamment luxueuse pour être offerte au roi de Sparte, Agésilas, lors de sa visite en Egypte.
Chez les grecs et les romains
Le goût des oies grasses et leur foie traversent la Méditerranée pour rejoindre la Grèce, puis Rome. Comme l’attestent de nombreux textes littéraires, les anciens semblent avoir largement apprécié le met délicat. Les grecs et les romains ont développé la pratique du gavage des oies. Ils utilisaient des figues séchées pour développer des foies avec un goût plus doux et plus délicat. Une technique qui est également décrite dans De re coquinaria (L’art culinaire), une compilation de recettes romaines datant de la fin du IVème siècle. On y apprend notamment comment engraisser le foie des porcs. Le gavage a des racines égyptiennes, mais la première recette de foie gras qu’on possède est romaine. Le foie gras parfumé aux figues entre tellement dans les mœurs que Pline l’Ancien avançait que la recette était d’origine romaine.
Certains chercheurs soutiennent que la pratique du gavage est arrivée dans le sud-ouest de la France durant la conquête romaine de la Gaule. D’autres soulignent que les juifs, chargés de s’occuper des troupeaux d’oies, sont les premiers à avoir appris la technique du gavage alors qu’ils étaient en Egypte. La pratique se poursuit sous l’occupation romaine de la Judée. À partir de là, le foie gras se serait répandu vers d’autres terroirs à travers la diaspora juive. Le goût riche et la texture beurrée du foie et de la graisse d’oie offraient un gras de cuisson alternatif non laitier aux fidèles. En effet, la diète casher interdit de mélanger le lait et la viande. Peu à peu, la pratique d’élever et d’engraisser les oies et les canards va se répandre progressivement partout en Europe.
Une forme d’art culinaire
Au fil du temps, le goût pour le foie gras se répand partout en Europe inspirant les cuisiniers les plus réputés.
C’est en 1472 que le bibliothécaire du pape Sixte IV, Bartolomeo Scappi, publie à Rome une recette de foie gras dans son De Honesta Voluptate et Valentudine (Des plaisirs honnêtes et du bien-être). Ce livre est le premier livre de cuisine jamais imprimé.
Alors que les italiens et les allemands se régalent de foie d’oie, la pratique du gavage des oies pour produire de la viande, du gras et du foie, a pris de l’importance dans le sud-ouest de la France. Deux manuels d’agriculture pratique circulent à l’époque : L’agriculture et la maison rustique de Charles Estienne (1560) et le Théâtre d’agriculture (1600) par Olivier de Serres. Les deux ouvrages présentent alors les meilleures méthodes pour engraisser les oies. Une de ces méthodes est particulièrement cruelle. Elle consiste à crever les yeux de l’oiseau et à le clouer au sol par les pieds.
Quoi qu’il en soit, la production de foie gras en France se poursuit et gagne en popularité à un tel point que le foie gras va faire son apparition dans le tout premier livre de cuisine française, intitulé de manière très peu originale : Le Cuisinier Français, publié en 1651 par François-Pierre de la Varenne.
Durant le règne de Louis XIV, la cuisine française s’épanouit et alimente les tablées somptueuses de Versaille. Dans Le Cuisinier Royal et Bourgeois publié en 1691, François Massialot qui va servir un temps comme chef cuisinier du frère du roi, propose, pour la première fois, une tourte de foie gras. La recette comprend du foie gras blanchi, des oignons, des herbes fraîches, du lard, du sel, du poivre, de la noix de muscade, des clous de girofle et des citrons verts, le tout encoffré dans une pâte feuilletée et nappée d’une sauce de purée de foie gras, de bouillon de mouton, d’échalotes et de jus de citron. C’est probablement la première occurrence du pâté de foie gras en croûte, un classique de la gastronomie française.
En 1902, à l’âge de 56 ans, Auguste Escoffier publie son second livre intitulé Le Guide Culinaire. Entraîné à la fois comme cuisinier et restaurateur, Escoffier a acquis de l’expérience au Grand Hôtel de Monte-Carlo, sous la direction de César Ritz. En 1899, au Carlton Hotel, Escoffier va jouer un rôle central dans l’établissement du standard international par lequel la haute cuisine française devait être jugée. Dans son livre alimentaire, Escoffier codifie la haute cuisine en établissant notamment la manière selon laquelle les chefs doivent préparer le foie gras en Grande Bretagne. Parmi les 2 973 recettes énumérées par Escoffier, le foie gras apparaît 85 fois.
Le foie gras, un synonyme de richesse
Les grands hôtels
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le foie gras gagne les faveurs des élites en Grande Bretagne et aux Etats Unis. La gastronomie se construit dans les hôtels et ceux-ci s’inscrivent comme un nouveau type de société fondée sur l’argent et le commerce. Ils sont fréquentés par une élite mobile, cosmopolite et richissime. Plusieurs chefs qui animent les cuisines de ces établissements de prestige sont français. Tous lisent avidement Escoffier ou bien les traductions de livres de cuisine écrits par les chefs français les plus réputés du temps.
En Amérique du Nord aussi, le foie gras se répand sur la carte des menus d’hôtels et des restaurants. Il se répand surtout après les années 1860, soit à la fin de la guerre civile aux Etats Unis.
Aux Etats Unis justement, le goût du foie gras n’est pas nécessairement importé de France. Les fermiers d’origine allemande sont de bons amateurs d’oies grasses et de leur foie. Dans la plupart des échoppes des boucheries allemandes localisées dans les villes d’importance, sur la côte Est ou dans le Midwest, on propose du foie gras. A New York, le légendaire restaurant Delmonico, propose à la carte de son banquet journalier du foie gras, en faisant l’étendard du repas de fête. Ce met goûtu se retrouve alors à tous les évènements festifs d’envergure : bal, inauguration présidentielle, etc.
Un symbole puissant
Aujourd’hui le foie gras est plus qu’un plat, c’est un symbole de richesse, de luxe, de haute cuisine et une affiliation, comme on l’a vu, qui remonte à l’époque de la Renaissance et même du roi Soleil.
De nos jours, plusieurs chefs inspirés par les extravagances de la nouvelle cuisine, proposent toute une gamme de mets mettant en scène le foie gras. Pizza au foie gras recouverte de feuilles d’or et de trèfle à 2 000$ (US) à New York, poutine au foie gras au pied de cochon à Montréal et crème glacée au foie gras et aux cerises à San Francisco. En somme, plein d’expérimentations toutes plus stupéfiantes les unes que les autres.
Mais ce symbole du foie gras est aussi très contesté, parfois même de manière violente. Plusieurs militants contre la cruauté faite aux animaux s’attaquent aux établissements proposant du foie gras sur leurs menus. Le combat des protecteurs des droits des animaux monte même jusqu’aux plus hautes instances législatives de différents pays. En effet, les pratiques ont bien changé et le mode d’engraissement des animaux est devenu presque barbare. Alors, ce grand symbole de richesse serait-il aussi l’emblème de la cruauté humaine ?