Avez-vous déjà entendu parler de cet animal préhistorique et de la couleur particulière de son sang ? Les limules, qui existent depuis plus de 450 millions d’années, possèdent une caractéristique plutôt surprenante : elles ont le sang bleu. Mais ce n’est pas son aspect inhabituel qui en fait un des liquides les plus convoités de notre planète. Vous ne le savez pas, mais ce sang vous a sûrement sauvé la vie plusieurs fois. Pourquoi le sang bleu de limule est-il si précieux ?
L’or bleu
L’or noir désigne le pétrole, l’or blanc désigne la neige, l’or vert désigne la flore et l’or bleu désigne l’eau. Maintenant, l’or bleu, c’est le sang de limule. En effet, c’est un des liquides les plus chers au monde ! Bien plus que notre sang rouge. Qu’est-ce qui justifie cela ?
Avant les années 60, lorsque l’on voulait savoir si un vaccin était contaminé par des bactéries, on était forcé de le tester sur des cobayes humains ou sur des lapins. La méthode, en plus de ne pas être éthique, présentait de nombreuses failles. Or, lorsque l’on commercialise un vaccin, on ne peut pas se permettre de laisser planer un risque de contamination. Cependant, on ne pouvait faire autrement à cette époque, jusqu’au jour où un scientifique fit une découverte surprenante…
Un peu par hasard, un scientifique qui observait le sang de limule en laboratoire constata que celui-ci formait un caillot en présence de certains types de bactéries. Très vite, il comprit que sa découverte aurait un énorme impact sur la médecine. En profitant de cette propriété particulière, on peut utiliser le sang de limule pour s’assurer qu’un liquide est stérile. Et dire qu’avant de découvrir le trésor qu’elles renferment, on broyait les limules pour obtenir de l’engrais vert.
Le sang de limule
Si les limules ont le sang bleu, ce n’est pas un hasard. Cette couleur est le témoin de la grande quantité de cuivre contenue dans leur sang. Tandis que nous, vertébrés, utilisons du fer dans l’hémoglobine pour transporter l’oxygène, les arthropodes utilisent du cuivre dans l’hémocyanine. Du sang, oui, mais pas les mêmes molécules.
Ok, les limules ont le sang bleu. Hormis le fait que ce soit surprenant, ce n’est pas la couleur qui fait de ce sang, un liquide si précieux. Lorsque nous, mammifères, devons combattre une infection, notre organisme sécrète des globules blancs qui rejoignent le sang afin de détruire les agents pathogènes. Beaucoup d’invertébrés, comme les limules, possèdent des cellules immunitaires déjà présentes dans le sang : des amibocytes. Ces cellules sont extrêmement puissantes. Lorsqu’elles détectent des bactéries ou des produits de bactéries tels que les endotoxines, elles provoquent une réaction de coagulation, empêchant une potentielle infection.
Les endotoxines sont libérées par des bactéries spécifiques dites à Gram négatif. Grossièrement, on peut classer les bactéries en deux catégories : Gram positif et Gram négatif. Que signifie Gram ? C’est le nom du chercheur ayant découvert la méthode de coloration la plus utilisée en bactériologie médicale. La coloration de Gram permet de donner très rapidement une information sur la nature d’une bactérie. On détaillera la méthode ultérieurement dans un autre sujet mais retenez que :
- Les bactéries à Gram positif ont une paroi épaisse. Elles ne produisent pas d’endotoxines. Les staphylocoques font partie de cette famille.
- Les bactéries à Gram négatif ont une paroi fine. Elles produisent des endotoxines. Escherichia coli et la salmonelle font partie de cette famille.
Les endotoxines sont donc partout : sur notre bureau, sur notre peau, sur les aliments que nous consommons… Et cela ne pose aucun problème. En revanche, si des endotoxines arrivent à s’infiltrer dans notre sang, elles peuvent provoquer des infections mortelles. Ainsi, depuis 1977, le test LAL est devenu une référence en matière de sécurité sanitaire.
Les enjeux
Chaque année, des centaines de milliers de limules sont capturées afin de récupérer une partie de leur sang, riche en amibocytes. Une fois que l’on traite les amibocytes en laboratoire, on obtient une substance appelée LAL. Cette substance, sera utilisée sur tous les médicaments, vaccins, implants et équipements médicaux entrant en contact avec le sang humain, afin d’assurer leur innocuité. Le sang de limule est donc indispensable à l’industrie pharmaceutique. La demande est si élevée que le prix du sang de limule dépasse les 10 000 euros le litre.
Mais à force de capturer des limules pour les vider de leur sang, nous finissons par constater un déclin des populations. Malgré le fait que nous limitions le prélèvement à 30% de leur sang, on observe une mortalité située entre 15% et 30% durant le processus. L’espèce est donc sérieusement menacée. L’industrie pharmaceutique tente de trouver des substituts au LAL, afin de rendre le test synthétique. Bien que nous ayons réussi à isoler le gène responsable de la production du facteur chimique permettant la détection, nous aurons encore besoin des limules au cours de la décennie, notamment dans ce contexte d’épidémie.